Le Tabou Combo a brillé de mille feux au concert « La nuit du Kompa » à Accorhôtels Arena - Bercy / Paris
Roger M Eugene à Bercy
Le samedi 8 avril 2017, le Kompa était à l’honneur au concert de
Bercy que les organisateurs ont titré « La nuit du Kompa ». On respecte
l’orthographe que les architectes de cet événement ont choisie. Cette
festivité culturelle s’était déroulée à « Accorhotels Arena » à Bercy /
Paris. Le choix des participants à ce concert a permis clairement
d’établir la différence entre les groupes musicaux d’hier et ceux
d’aujourd’hui.
On ne saurait laisser passer sous silence la clairvoyance et le
mérite de ces organisateurs, qui ont présenté sur une même scène des
représentants de la nouvelle génération et le Tabou Combo symbolisant
l’ancienne. Mickaël Guirand était en compagnie du Tabou Combo pour
marquer son retour définitif sur la scène HMI, après la dissolution de
Carimi.
Le compas direct: Un produit rare en Europe
Une source digne de foi nous confie que plus de 13, 000 billets
d’admission ont été vendus deux semaines avant la date du concert. Au
total 17, 000 personnes étaient présentes à ce grand événement. Les
Américains diraient « Full house », mais pas « sold out » qui souvent
exprime l’idée de nombre de billets vendus pour remplir l’enceinte à sa
capacité maximale. Tel n’a pas été le cas puisque la capacité d’accueil
de l’arène est de 20, 300 personnes. Mais c’est un concert réussi, tant
du point de vue d’affluence que de la prestation des groupes musicaux.
C’est une preuve qu’une bonne promotion a été faite autour de
l’événement. Cela montre bien comment nos frères et sœurs de la
Martinique, de la Guadeloupe, de la Dominique, tout aussi bien les
Haïtiens de France et de ses environs valorisent et supportent la
musique haïtienne. En effet, des gens étaient venus de l’Allemagne, de
l’Angleterre, de la Belgique, de l’Espagne et même de Luxembourg. Des
amis d’enfance venant de ces pays nous avaient aussi signalé leur
présence à ce concert.
Il faut bien qu’on se rappelle qu’en Europe, en Afrique et même en
Amérique, quand on dit Bercy c’est comme ci on parle du paradis
terrestre. Cela exprime l’idée de grandeur, de beauté, de cadre select,
où la sécurité est au maximum. Aucun diable ne peut venir de l’enfer
pour se croire capable de tromper St Pierre et envahir l’espace avec
l’intention de troubler la paix publique. Les mains seraient mises au
collet de tous ceux qui auraient une telle intention. Ils seraient mis
hors d’état de ne plus nuire.
La gestion du temps a fait paniquer certains groupes
Au cours de ce concert, on a vu défiler sur scène les groupes «
Kreyol La », « Original H » de France, « Klass », « Tabou Combo » et «
T-Vice ». Le groupe Kreyol La a marqué des points au tableau
d’affichage. Ti Joe Zenny a dilué son vin (li mete dlo nan diven l) et
le boit maintenant au compte - gouttes, après la controverse autour du
titre de champion du carnaval haitien 2017, qui a été décerné au groupe
Kreyol La. Il s’est calmé. La participation de Kreyol La à ce concert a
été très remarquable.
Sa présence scénique a montré qu’il s’est démarqué du traditionnel «
men m ti bagay la ». L’entrée en scène du tambour paraissait très
explicite, car cet instrument résonne fort et cela jusqu’au cœur de
l’Afrique « Ginen ». C’est tout un langage et un grand moyen
d’expression artistique. Si en plein XXIe siècle, des gens dévalorisent
le tambour et le rôle des tambourineurs, c’est qu’ils souffrent de
cécité et se rangent parmi les connards.
Le choix de « Original H » paraît plus que logique. C’est un groupe
local qui mérite une grande reconnaissance, considérant les efforts que
font ces musiciens pour le placer et le maintenir sur l’échiquier
musical haitien. Sa participation à ce concert le prouve. Il est
opportun de féliciter les organisateurs de leur compréhension à
l’endroit de ce groupe musical, puisque «Original H » pa ka kay pè, pou l
ta mouri san batize. L’effort de ces musiciens est grandement
apprécié. Ils ont simplement besoin d’un représentant en Amérique et en
Afrique pour être en mesure de s’imposer ailleurs. Chapo. Kenbe la,
mesye!
Le groupe Klass de Richie, qui a été proclamé l’orchestre le plus
populaire du moment, a eu un problème de gestion du temps et de
coordination musicale. Il s’était lancé dans une course contre la
montre. Pourtant, les quarante (40) minutes allouées à chaque groupe
paraissaient suffisantes pour présenter sa prestation. Klass avait
amplement de temps. Il est recommandé de toujours jouer en medley à ces
genres d’activités culturelles où chaque seconde vaut son pesant d’or.
Pas de temps pour des racontars, ni bann pale franse sa yo, alors que
les minutes s’égrenaient. Sous l’effet de fortes émotions, face à un si
large public, on risque de commettre des fautes en essayant d’improviser
dans la langue de Victor Hugo. Le français est une langue élastique.
Quand on tire trop dessus et qu’on dépasse sa limite d’élasticité, les
molécules se dispersent et l’élastique se casse.
Dans le cadre de cette fête culturelle, Klass a présenté un medley
qui n’a pas été bien raccordé, les séquences musicales n’ayant pas été
bien choisies. Cela n’empêche que Klass ait présenté une bonne
prestation, comparativement à ses participations aux festivals /
concerts antérieurs. La transition d’une musique à une autre a laissé
entrevoir une coupure, au lieu d’une fluidité. Richie doit certainement
marquer un break pour annoncer le changement de musique ou de tonalité.
Pour quelqu’un qui assiste à la prestation de Klass en live pour la
première fois, il ne doit pas se rendre compte qu’il s’agit d’un medley.
Richie a des corrections à faire en ce sens. Une critique positive aide
à corriger les erreurs et à faire avancer dans la bonne direction celui
ou celle qui est l’objet de cette critique.
Le Tabou Combo et Mickaël Guirand, l’ex-chanteur du groupe Carimi, au concert « La nuit du Kompa »
Le Tabou Combo est entré sur scène immédiatement après Klass. Il a
commencé avec une musique « Boléwo Jouk li Jou» qui l’identifie. Puis,
Shoubou a introduit Mickael Guirand, ex-chanteur du groupe Carimi.
Celui-ci a fait une bonne et très succincte introduction en français,
qui a prouvé sa facilité de langage. Il a annoncé son retour définitif
sur la scène HMI, précisant que c’est pour lui un grand honneur de se
retrouver sur la même scène avec Tabou Combo, cette légende vivante. Il a
rendu un hommage bien mérité à son groupe défunt « Carimi ».
Faisant la pompe rythmique à la guitare à intervalles réguliers
(graje gita), Dener Ceide a ouvert l’espace à Mickaël Guirand. Celui-ci a
commencé sa prestation en interprétant la chanson « Ayiti Bang Bang »
de Carimi. Le public a vivement réagi. C’est tout ce dont il avait
besoin pour se décontracter. Il ne savait pas comment le public allait
l’accueillir. Il a ensuite interprété « Baissez Bas », une chanson à
succès du Tabou Combo. C’était superbe. On s’attendait à ce que Mickaël
Guirand se cogne la tête là où Shoubou, dans la version enregistrée de «
Baissez Bas », a changé d’octave pour ensuite revenir à l’échelle
musicale de départ sans que sa voix ne craque. C’est ce qu’en musique on
appelle dynamisme musical (Robert Noël).
Mickaël l’a réussi à sa façon, sans aucune interruption qui pourrait
causer l’altération du rythme. Il a ainsi prouvé son intelligence et son
talent. Bravo Mickaël. Il a ensuite interprété « Phénomène Tabou ».
Tabou a offert une autre composition très connue « Lakay» qui a marqué
plus d’un, particulièrement les nostalgiques. Les paroles nous disent : «
Ayiti, a lam kontan wè w, Pòtoprens pou jan m t anvi wè w». Ce qui fait
que certains animateurs et journalistes culturels changent le titre de
la chanson et l’appellent « Haïti ». Herman Nau, le préfet de
discipline de Tabou Combo, a joué à la batterie dans cette chanson. En
passant, il faut dire qu’Herman Nau paraît être en pleine forme
physique. Il bouge sans essoufflement. Qu’il continue à jouer au tennis
et à faire de la musculation, puisque le résultat est probant et cela
l’aide à bien se tenir sur scène. Herman, Shoubou et Fanfan Ti Bòt ont
créé de l’animation, en exhibant des pas bien entrainés et rassurés. Ils
ont présenté une très simple chorégraphie qui a plu à tout le monde.
Si pendant le spectacle, le préfet de discipline de Tabou Combo n’a
jamais tourné la tête pour regarder en arrière, c’est que le jeune Jonas
Imbert assurait bien le rôle de batteur. On remarque que Kapi a élargi
son rôle de tom- bassiste (gongiste) en jouant un mini-instrument à
clavier, en sus de la cloche. Jean-Claude Jean a tenu la rythmique
stable aux côtés du bassiste Reynald Félix, secondé par le tambourineur
Reynald Valmé. Tabou Combo a clôturé sa prestation avec « Mabouya». Aux
claviers, on remarquait la présence de Jocel Alméus et Dany Lebeau.
Mickaël Guirand s’est bien adapté au style de Tabou Combo, reconfirmant
son talent de chanteur et d’animateur - né.
Shoubou, très satisfait de la bonne prestation de Tabou Combo, a
suscité l’applaudissement du public, brisant les portes verrouillées de
la modestie en disant : « malgré mon âge, je suis resté un bel homme ».
Cela nous étonne qu’il n’ait pas déballé toutes les expressions latines
qu’il a apprises au Collège Notre Dame de Lourdes (les Frères de
l’Instruction Chrétienne) de Port-de-Paix. La réponse est simple. Tabou
Combo était obligé de céder la place au groupe T-Vice. Cette formation
musicale a fait le meilleur d’elle-même en offrant des chansons connues
du public et de ses fans en particulier. T-Vice a accéléré son tempo,
ne voulant pas qu’on mette fin prématurément à sa prestation. Encore une
fois, le tube « Élikoptè » a aidé T-Vice à faire bouger le public.
Quand un groupe musical joue après la prestation de Tabou Combo à un
concert ou à un festival, il doit tenter l’impossible pour se faire
accepter, chose peu facile à réaliser.
La leçon d’histoire
Tabou Combo avait complètement changé l’ambiance musicale avec des
chansons vieilles de 30 à 45 ans qui conservent encore leur fraîcheur.
Tabou a encore prouvé qu’il a du métier, et le professionnalisme des
musiciens permet de le placer dans un univers à lui seul connu. Sans le
moindre doute, il détient le secret de la réussite aux festivals et aux
concerts. Les musiciens de la nouvelle génération disent souvent que
les temps ont changé et que les anciens groupes sont maintenant désuets.
Ce samedi 8 avril 2017, ils ont appris une bonne leçon d’histoire qui
prouve que : « Vye chodyè fè pi bon manje ke chodyè nèf, nan kwizin
festival ak konsè ». Aucun des groupes qui ont participé au concert n’a
fait bouger le public comme le Tabou Combo.
Rappelons qu’en août 2017, le Tabou Combo fêtera ses 49 ans
d’existence (août 1968-août 2017). On se souvient qu’en août 2003, il
avait présenté un concert à Amazura à l’occasion de ses 35 ans
d’existence. On souhaite que Tabou Combo tienne encore plus fort pour
qu’il atteigne trois fois vingt ans, une occasion qu’il faudra célébrer
avec fierté et panache. Tabou Combo a causé une « tabula rasa – table
rase », à Accorhôtels, ce qui va porter les groupes de la nouvelle
génération à recommencer à zéro, c'est-à-dire à trouver une autre forme
de pensée et d’approche musicales pour réussir aux concerts et aux
festivals. Ainsi, ils pourront mieux se repositionner au lieu de
s’autoproclamer champions ou « number one » au moindre vent. Ce sont là
des futilités qui ne font pas avancer le compas direct.
Une question hante l’esprit de plus d’un. Il semble que le thème de
ce concert ait été « Leve de men n anlè », puisque tous les groupes
musicaux ont exigé que le public le fasse. On ne demande pas qu’un tel
geste soit fait. Les musiciens peuvent l’initier sur scène et diriger
l’énergie vers le public qui le fera à son tour. La réussite de cette
manifestation culturelle à Bercy ne garantit pas qu’un événement
similaire en format - concert en Floride ou à New York puisse draîner
une si grande foule. D’ailleurs, les groupes musicaux et les promoteurs
haïtiens en Amérique s’accrochent plutôt aux soirées dansantes. On doit
certainement adresser des reproches à ces orchestres haïtiens qui
attendent que les promoteurs fassent tout pour eux. Ils sont donc
devenus esclaves de ces derniers.
Les organisateurs de ce concert, à Bercy, mettent sur la bonne piste
tous ceux qui font croire qu’ils veulent assurer la promotion de la
culture haïtienne. Et si on parle de développement touristique en Haïti,
des méga - concerts similaires, bien entourés d’une longue et bonne
promotion, et d’un excellent marketing à travers les medias nationaux et
internationaux, pourront attirer des touristes. Comme hôtes de ces
événements culturels, on pourra considérer Port-au- Prince, Arcahaie,
Gonaïves, Port-de-Paix, St Louis du Nord, Jean Rabel, Latortue, Cap
Haïtien, Limbé, Trou du Nord, Léogane et Jacmel. Cela relève de la
compétence du ministère haitien de la Culture. Nous adressons nos
sincères félicitations aux organisateurs de « La nuit du Kompa » et à
tous les groupes qui ont participé à cette première édition, plus
particulièrement à Tabou Combo qui a su faire la différence claire et
nette et prouver que la musique n’a pas d’âge, ni de frontière. Gran
moun se gran moun. Le Tabou Combo a vraiment été le clou de la soirée.
Il a brillé de mille feux.
robertnoel22@yahoo.com