Felipe VI de Bourbon est devenu à minuit le nouveau roi d’Espagne et prêtera serment jeudi lors d’une sobre cérémonie, avant de s’atteler à sa lourde mission: rajeunir une monarchie en quête de légitimité et préserver une unité nationale malmenée par le séparatisme catalan.
Moderne et cultivé, le jeune roi en grand uniforme militaire, portant la ceinture de soie rouge de capitaine général des Armées reçue des mains de son père Juan Carlos, qui a signé mercredi son abdication, jurera fidélité à la Constitution de 1978, le socle fondateur de la démocratie espagnole. A 46 ans, Felipe hérite d’une monarchie contestée, selon les sondages, par un Espagnol sur deux, dans un pays miné par la crise économique et le chômage. Resté populaire face au discrédit qui frappe son père, il devra répondre à de nombreux espoirs qu’il aura sans doute du mal à honorer.
 
 
«Aujourd’hui, les Espagnols attendent tout de lui: qu’il trouve une solution pour la Catalogne, pour le chômage, qu’il donne un nouveau visage aux institutions», relève Cote Villar, journaliste au quotidien El Mundo. «C’est un grand souffle d’air frais. Mais le risque de déception est très grand», souligne-t-elle.
Jeudi matin, la cérémonie se déroulera devant le Parlement, en l’absence d’invités étrangers. Rompant avec la tradition catholique, la journée sera exclusivement laïque. Après avoir prêté serment, dans l’hémicycle du Congrès des députés, et prononcé son premier discours de roi, Felipe présidera un défilé militaire, rappelant sa fidélité à la tradition qui fait de lui le chef des Armées.

Salut au balcon

Madrid, pour accueillir son nouveau roi, s’est parée de milliers de fleurs et de drapeaux espagnols rouge et or, un décor éclipsant les manifestations républicaines qui avaient suivi l’annonce, le 2 juin, de l’abdication de Juan Carlos et les voix, minoritaires, qui réclamaient au Parlement un référendum sur l’avenir de la monarchie.
Felipe et la nouvelle reine Letizia, une ancienne journaliste de 41 ans, mince et élégante, première souveraine espagnole à ne pas avoir de sang royal, traverseront Madrid, en quittant le Congrès, en voiture jusqu’au Palais Royal.
Le couple, accompagné de Juan Carlos et de la reine Sofia, sortira sur le balcon central pour saluer la foule attendue sur la Plaza de Oriente. A leurs côtés, la princesse Leonor, nouvelle héritière, à huit ans, du trône d’Espagne, et sa petite soeur Sofia, sept ans. «On dirait un match de foot: il y a beaucoup de drapeaux», s’amusait mercredi, près du Congrès, José Alberto Cajiros, un étudiant de 20 ans. Mais le soir venu, dans les bars de Madrid, les supporteurs de football qui encassaient l’élimination de leur équipe nationale au Mondial, semblaient avoir perdu tout espoir. «Felipe comme Juan Carlos ne peuvent rien faire d’autre que d’être de grands ambassadeurs de l’Espagne. La Constitution ne leur donne pas d’autres pouvoirs», regrettait Manuel Lista, un supporteur de 51 ans.

Un grand absent

Tout au long de cette journée, la haute silhouette de Felipe, sorti au fil des années de l’ombre de son père, éclipsera celle de Juan Carlos, le grand absent de la cérémonie et de la réception qui suivra au Palais Royal, en présence de 2 000 invités et des ambassadeurs étrangers. Une décision prise par le roi lui-même, assure la Maison Royale, afin «de donner un plus grand rôle» à Felipe. Mercredi soir, Juan Carlos, retenant ses larmes, a signé la loi d’abdication, massivement approuvée par le Parlement. Son dernier acte officiel.
A 76 ans, après 39 ans d’un règne dont les dernières années ont été marquées par les scandales, c’est un roi usé, marchant avec hésitation, appuyé sur des béquilles, qui passe le témoin à son fils. Un souverain, monté sur le trône le 22 novembre 1975, deux jours après la mort du dictateur Francisco Franco, longtemps très aimé pour avoir mené l’Espagne vers la démocratie et resté l’interlocuteur respecté de nombreuses capitales étrangères. En annonçant sa décision, Juan Carlos a transmis à son fils la lourde tâche de rénover la Couronne, laissant place à une «nouvelle génération».
Mais Felipe dispose d’une marge de manoeuvre étroite, dans un pays où la crise a engendré une perte de confiance dans les institutions, où le régime de la monarchie parlementaire ne lui laisse que peu de pouvoirs. «C’est un bon roi, très bien préparé, mais sa tâche ne sera pas facile. L’Espagne est très agitée», remarquait Antonio Molina, 60 ans, vendeur de boissons dans un kiosque proche du Palais Royal.
Sans doute son premier dossier brûlant, la poussée séparatiste en Catalogne, à quelques mois du référendum d’autodétermination prévu par les nationalistes en novembre, mettra à l’épreuve les talents de diplomate de Felipe, qui parle catalan et entretient des liens privilégiés avec la région. Parmi les embûches attendues sur son chemin, le roi devra aussi composer avec les retombées du scandale judiciaire qui frappe sa soeur Cristina, inculpée de fraude fiscale. Avec Juan Carlos, Cristina sera jeudi l’autre grande absente.
AFP