samedi 18 janvier 2014

Alimentation : insectes, les petites bêtes qui montent qui montent

En décembre dernier, la Belgique a, pour la première fois en Europe, accepté la mise sur le marché de dix insectes. Dans un ou deux ans, l’Union européenne devrait adopter un texte encadrant le commerce et la consommation de ces nouvelles denrées. Dans les années à venir, la production d’insectes, à moindre impact environnemental, fera peut-être partie de notre alimentation courante et plus certainement de celle des animaux que nous mangeons. Une solution pour changer les cycles de production alimentaire de demain ? Décryptage.

 
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Une cuillerée d'insectes / Photo AFP
18.01.2014Par Léa BaronDemain, tous entomophages ? Le chemin est encore long pour que les consommateurs d’insectes deviennent légion dans le monde entier. Mais un tournant s’amorce en Europe. Ainsi, en Belgique, l’Agence fédérale pour la Sécurité de la Chaîne alimentaire (AFSCA) a-t-elle décidé, en décembre dernier, d’autoriser la mise sur le marché de dix insectes (grillon, criquet, ver, chenille…). La liste (voir en encadré) reflète ce qui était déjà consommé sur le territoire suite à une enquête menée en 2011 pour la Commission européenne.

Désormais, les entreprises qui souhaitent élever, transformer ou distribuer des insectes pour la consommation humaine ou la fabrication de denrées alimentaires à base d’insectes doivent être enregistrées à l’AFSCA ou obtenir une autorisation de l’Agence belge à condition que les animaux figurent dans la liste.

Cette autorisation belge répond au développement d’un marché en Belgique : « Ces  dernières années, et c’est vraiment mondial, on a constaté le développement de ce marché de niche, souligne Jean-Paul Denuit, porte-parole de l’AFSCA. On sort du cadre de populations allochtones consommatrices, et on va vers un produit qui est plus largement distribué. C’est là qu’on a vu l’obligation de mettre des règles, un cadre dans lequel cela pouvait être fait. »

L’agence sanitaire belge a aussi voulu pallier un flou législatif européen. « On suit depuis plusieurs années des discussions au niveau de l’Europe pour savoir si les insectes sont reconnus comme des aliments nouveaux ou pas, explique Jean-Paul Denuit, porte-parole de l’AFSCA.  Dans l’absence de décision européenne, on s’est retrouvé face à une situation assez hypocrite. Les insectes sont soi-disant "pas autorisés" mais sur le terrain ils sont "tolérés" dans l’ensemble des pays. » L’AFSCA a décidé d’y mettre un terme, souligne Jean-Paul Denuit : « Il faut que les règles soit claires, tant pour le consommateur que pour les entreprises qui veulent se lancer sur le terrain. Évidemment, quand il y aura une décision au niveau européen, la Belgique s’y conformera. »
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Plat à déguster au bar Le Festin nu à Paris /Photo capture d'écran DR
Les insectes et l’Europe

La Belgique a donc procédé à cette autorisation temporaire en attendant une validation au niveau européen qui se fait attendre. Cependant, l’Union travaille à l’élaboration d’un nouveau règlement « novel food » (nouvelle alimentation) qui pourrait être validé dans les deux années à venir : « On a proposé ce nouveau règlement aux États membres en décembre 2013. Il va maintenant être discuté par le Parlement européen et par le Conseil pour essayer de régler le flou qui existe autour de la législation du "novel food" et des insectes », explique Frédéric Vincent, porte-parole santé de la Commission européenne.

La mise sur le marché européen des insectes pour la consommation humaine entre dans le champ d’application du règlement (CE) n°258/97 sur les nouveaux aliments ou « novel food » (voir en encadré), c’est-à-dire des denrées alimentaires ou des ingrédients dont la consommation alimentaire humaine était négligeable avant le 15 mai 1997. Les insectes répondent à cette définition. Pour qu’ils soient commercialisés et consommés légalement, ils doivent donc être soumis à une évaluation européenne afin de prouver qu’ils ne présentent pas de dangers pour le consommateur.

Aujourd’hui, impossible de savoir si l’insecte que vous retrouvez sur un marché ou dans votre assiette respecte des règles d’hygiène… Sauf en Belgique, désormais. Leur provenance et leur qualité ne sont pas garanties. Les services sanitaires nationaux restent à l’affût. 

Des restaurants en proposent à leur carte un peu partout en Europe. A Paris, par exemple, l’ouverture du bar Le Festin nu en octobre 2013, a piqué l’intérêt des clients et des médias. Punaises d’eau géantes sur lit de poivrons, sauterelles avec œufs de caille… Des goûts des couleurs qui surprennent. Les réactions des clients oscillent entre curiosité et dégoût.
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Insectes grillés au Cambodge / Photo AFP
Nourriture occasionnelle

En Occident, clients, mais aussi entreprises, marquent un engouement timide pour ces petites bêtes. Cela reste, pour l’instant, très européen de vouloir légiférer la consommation d’insectes : « On peut manger des insectes sans avoir aucune réglementation, raconte Paul Vantomme, chargé du programme sur les insectes comestibles à l’Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO). C’est ce qui se passe dans beaucoup de pays en Afrique, en Asie du sud-est, en Chine, au Mexique. C’est une nourriture traditionnelle. Comme nous mangeons des crevettes, il y a des gens qui mangent des sauterelles. Cela n’a pas été règlementé car c’est considéré, même dans ces pays là, comme une nourriture occasionnelle, saisonnière, qui n’est pas un aliment de base. »
A la traîne sur la consommation d’insectes, l’Europe s’inscrit finalement en avance en terme de législation : « L’Europe est peut-être en retard au niveau de l’utilisation des insectes comme source d’alimentation humaine et animale, mais d’un autre côté, elle est peut-être un peu en avance au niveau de la réglementation », constate Paul Vantomme.

Cette législation doit accompagner un développement du marché des insectes pour pallier les manques d’apports en protéines « La direction générale de la recherche de la Commission européenne épaule, aux Pays-Bas, un projet de recherche sur l’utilisation d’insectes dans une perspective de diversification de l’apport en protéines, confie Frédéric Vincent, porte-parole santé de la Commission européenne. Quand on sera 9 milliards de personnes sur la planète en 2050 ou 2060, on ne mangera pas tous du bœuf !»
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Un assiette d'insecte / Photo CC
Des insectes dans nos assiettes ?

Fini les hamburgers, alors, ou le steak tartare ? Non. On ne finira pas tous avec une sauterelle grillée dans nos assiettes, bannissant viande et poisson de notre vocabulaire culinaire. « Ils ne vont pas remplacer toute notre alimentation, explique Paul Vantomme de la FAO.  On va continuer à faire de l’élevage de bovins, on va continuer à manger du soja mais comme la demande va aller croissante, une partie de cette demande en protéines sera de plus en plus comblée par les insectes. » L’intégration des insectes dans notre alimentation interviendra donc à différents niveaux.

Ils ne se consomment pas forcément en entier, mais aussi sous bien d’autres formes ,comme les protéines ou les vitamines extraits des insectes dans la nourriture recomposée. Mais l’acceptation passe aussi par une éducation de la population occidentale, principalement pour rompre avec les préjugés : « Il y a encore beaucoup de travail à faire. Les traditions alimentaires sont culturelles, souligne Paul Vantomme de la FAO. Notre culture est évidemment traditionnelle, mais cela bouge. Aujourd’hui, on mange du sushi alors qu’il y a 20 ou 30 ans on ne mangeait pas de poisson cru. »

Les insectes vont se rendre utile dans l’industrie agro-alimentaire, car leur élevage a un faible impact environnemental. « On compare un  secteur embryonnaire avec des secteurs qui existent déjà depuis des millénaires, explique Paul Vantomme. Mais on a déjà fait des recherches au niveau des laboratoires : la production de méthane par l’élevage d’insectes est infime par rapport à celle des porcs ou des bovins. » Un bon point pour le réchauffement climatique.
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Élevage de vaches en France /Photo AFP
Industrie agro-alimentaire

Les consommations croissent de manière exponentielle. « Ces 20 dernières années, la Chine a triplé sa demande en viande, poursuit le responsable de la FAO. Avant, ils étaient trop pauvres pour s’acheter un poulet ; maintenant, ils en mangent un par semaine. » D’autres solutions devront s’imposer pour nourrir tout le monde.

Outre la consommation humaine, les insectes pourront aussi (surtout ?) alimenter les bovins, ovins, volailles et poissons que nous mangeons, et qu’il va devenir de plus en plus difficile à nourrir.  « Aujourd’hui, on donne du maïs, des céréales, du soja à nos animaux pour l’élevage, mais en fait, on aurait pu manger le soja et le maïs nous-mêmes, souligne Paul Vantomme. Là, on perd en efficacité. On n’a pas besoin d’aliments qui sont en compétition avec la nourriture humaine pour nourrir les insectes.» Il est difficile de cultiver suffisamment d’aliments pour nous et nos bêtes sur les terres hors élevage.  « On est quand même limités dans l’exploitation ou l’expansion de terres agricole, observe Paul Vantomme. Selon une étude de la FAO, 70% des terres agricoles dans le monde sont utilisées pour l’élevage. »
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Déchets organiques / Photo AFP
Déchets

Les insectes n’ont donc pas besoin de nourriture humaine. Ils se contentent de déchets organiques en tous genres : le compost, et même le lisier (déjections de porcs), comme en Chine . « J’ai vu le lisier utilisé pour l’élevage des mouches, raconte Paul Vantomme. On prend les larves une semaine après et les donner encore vivantes aux poissons et aux poules. Ces systèmes peuvent être rapportés à l’échelle industrielle comme en Afrique du Sud ou aux États-Unis. »

Aujourd’hui, le responsable de la FAO estime à moins de 1% l’apport des insectes dans l’alimentation humaine et animale. En Europe comme ailleurs, les premières productions agro-alimentaires qui pourront en bénéficier sont la volaille et l’aquaculture. Cela pourrait réduire les conséquences de la surpêche, aujourd’hui entraînée par la pêche de poissons pour en alimenter d’autres en élevage. Un cercle vicieux.

L’introduction d’insectes pour nourrir les élevages permettrait  de retrouver un cercle plus vertueux : « On essaye de réintégrer dans un cycle fermé la production de la protéine humaine. » Un juste retour à l’ordre de la nature. A condition que les conditions commerciales soient réunies.  « L’échelle doit devenir assez importante pour diminuer les coûts de production, souligne Paul Vantomme, et devenir compétitif avec les systèmes traditionnels. Mais ce n’est pas encore le cas. »

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