Nelson Mandela: mythe et réalités
Nelson Mandela le 25 février 1990, quelques jours après sa libération.
Trevor Samson/AFP
« Plus souvent qu’on ne le pense, une époque créée et
nourrit les individus qui sont associés à ses méandres. Et voici comment
un nom devient le symbole d’une ère ». Nelson Mandela, en décembre
1997, prononçait son tout premier discours d’adieu, au moment de passer
le relais de la présidence du Congrès national africain (ANC) à Thabo Mbeki.
Il n’était qu’à mi-parcours de son premier et unique mandat de
président. Il affichait alors cette modestie qui fait la marque des
grands hommes. Et cherchait aussi à consoler ses camarades de son
inéluctable départ : « Je sais que l’amour et le respect qui m’ont
été portés sont l’amour et le respect pour le Congrès national africain
(ANC) et ses idéaux », leur disait-il.
C’est à contrecoeur qu’il avait accepté d’être mis en avant, lors de la campagne internationale « Free Mandela » (« Libérez Mandela »), lancée en mars 1980, alors qu’il se trouvait depuis 17 ans derrière les barreaux. Il trouvait ce slogan trop centré sur sa personne, alors que l’Afrique du Sud comptait beaucoup de prisonniers politiques.
Athée, pétri de marxisme-léninisme, Mandela se méfiait du culte de la personnalité. Fin politique, il n’en a pas moins contribué à l’écriture de sa propre légende. Il avait écrit ses mémoires avant d’être président, avec Longue marche vers la liberté (Fayard, 1995), six millions d’exemplaires vendus dans le monde, puis Conversations avec moi-même (La Martinière, 2010), un titre inspiré par les « Pensées pour moi-même » de l’empereur romain Marc-Aurèle. « L'un des problèmes qui m'inquiétait profondément en prison concernait la fausse image que j'avais, sans le vouloir, projetée dans le monde, écrivait-il dans ce dernier livre. On me considérait comme un saint. Je ne l’ai jamais été, même si l’on se réfère à la définition terre à terre selon la quelle un saint est un pécheur qui essaie de s’améliorer ».
Nelson Mandela ne manquait pas d’humour et d’auto-dérision. De sa personnalité, exceptionnelle, a toujours émané une grande confiance en soi. Une qualité mal vue dans l’Afrique du Sud de ses débuts d’avocat, où les magistrats blancs le classaient dans la catégorie « des Noirs arrogants », se souvient son ami et avocat George Bizos.
Cet homme de principe ne doutait pas du cap qu’il s’était fixé : l’avènement d’une démocratie multiraciale en Afrique du Sud. Maître de ses émotions, il ne fléchissait jamais en public. Même lorsqu’il a connu le plus grand drame de sa vie, la perte de son fils aîné Thembi, mort en 1969 à 24 ans dans un accident de voiture, il s’est efforcé de ne pas montrer sa peine à ses camarades de prison.
Derrière le mythe, l’homme et ses défauts
Mais comme il l’a admis lui-même dans ses mémoires, l’homme qui est entré au bagne en 1963 est devenu au fil des ans un mythe, un « mythe qui s’est avéré n’être qu’un homme »,
avec ses défauts. Il ne supportait guère la contradiction, et encore
moins l’échec. Difficile de lui tenir tête et de lui faire comprendre
que certaines de ses exigences étaient « un peu difficiles », a raconté son ex-femme, Winnie Mandela, dans sa biographie Une part de mon âme (Seuil, 1986). « Il reprend alors son idée, la répète un peu plus lentement. Essayez un peu de dire non ».
Il lui arrivait parfois de se mettre en colère. Le dernier président blanc de l’apartheid, Frederik de Klerk, en a fait les frais en 1991, au début des négociations autour de la transition démocratique. Non sans mauvaise foi, De Klerk avait accusé l’ANC de garder une « armée privée » en violation d’un accord de paix. C’est un Mandela glacial qui avait répliqué, sans regarder De Klerk et en parlant de lui à la troisième personne : « Même le chef d’un régime minoritaire discrédité et illégitime comme le sien doit s’en tenir à certains critères moraux ».
Ce n’est que trois ans plus tard que les élections multiraciales ont eu lieu, le 27 avril 1994. Un compromis a été trouvé, permettant aux fonctionnaires blancs de rester en poste quelque temps, et prévoyant un système d’amnistie et de pardon pour les crimes commis sous l’apartheid, dans le cadre de la Commission vérité et réconciliation (TRC). Du coup, Nelson Mandela a été souvent critiqué dans la communauté noire, pour avoir fait la part trop belle aux Blancs. Une minorité, 8,9% de la population, qui s’est sortie de l’apartheid dans une relative impunité.
Mandela a aussi été contesté pour avoir cédé aux pressions des lobbies d’affaires et du grand capital, aux mains des Blancs. Il a rapidement abandonné toute idée de nationalisation, et dès 1996, une politique d’Etat interventionniste au profit d’une gestion néo-libérale. Son Programme pour la reconstruction et le développement (RDP) s’est soldé par la construction de milliers de maisons bon marché dans les townships. Il n’y a pas eu de grands travaux publics pour mettre le pays au travail, ni d’investissements massifs dans l’éducation. Nelson Mandela a certes pris deux mesures fortes en arrivant au pouvoir : la gratuité des manuels scolaires et des soins de santé pour les enfants de moins de cinq ans. Mais son pays est resté miné par les problèmes sociaux, avec un chômage qui frappe toujours 25,5% des actifs, en majorité des Noirs.
« Les Sud-Africains savent bien que Nelson Mandela aurait pu faire beaucoup plus, note le politologue sud-africain William Gumede. Une partie de l’opinion lui a aussi reproché de n’être pas resté plus longtemps au pouvoir ». Au sein de son propre parti, Mandela a été critiqué pour ne pas avoir réglé sa succession. Par respect pour la démocratie interne à son parti et pour ne pas paraître autoritaire, il n’a pas cherché à imposer son favori, parmi ses successeurs potentiels.
Il a donc laissé le brillant Cyril Ramaphosa, un leader syndical populaire qui a joué un rôle central dans les négociations autour de la transition, se faire évincer par Thabo Mbeki, dès 1992. Ramaphosa n’est revenu qu’en décembre 2012 au devant de la scène politique, en tant que successeur désigné de Jacob Zuma, au poste de vice-président de l’ANC. « Nous avons perdu de précieuses années avec deux présidents médiocres, Mbeki et Zuma », regrettait encore, en décembre dernier, un militant de l’ANC.
C’est à contrecoeur qu’il avait accepté d’être mis en avant, lors de la campagne internationale « Free Mandela » (« Libérez Mandela »), lancée en mars 1980, alors qu’il se trouvait depuis 17 ans derrière les barreaux. Il trouvait ce slogan trop centré sur sa personne, alors que l’Afrique du Sud comptait beaucoup de prisonniers politiques.
Athée, pétri de marxisme-léninisme, Mandela se méfiait du culte de la personnalité. Fin politique, il n’en a pas moins contribué à l’écriture de sa propre légende. Il avait écrit ses mémoires avant d’être président, avec Longue marche vers la liberté (Fayard, 1995), six millions d’exemplaires vendus dans le monde, puis Conversations avec moi-même (La Martinière, 2010), un titre inspiré par les « Pensées pour moi-même » de l’empereur romain Marc-Aurèle. « L'un des problèmes qui m'inquiétait profondément en prison concernait la fausse image que j'avais, sans le vouloir, projetée dans le monde, écrivait-il dans ce dernier livre. On me considérait comme un saint. Je ne l’ai jamais été, même si l’on se réfère à la définition terre à terre selon la quelle un saint est un pécheur qui essaie de s’améliorer ».
Nelson Mandela ne manquait pas d’humour et d’auto-dérision. De sa personnalité, exceptionnelle, a toujours émané une grande confiance en soi. Une qualité mal vue dans l’Afrique du Sud de ses débuts d’avocat, où les magistrats blancs le classaient dans la catégorie « des Noirs arrogants », se souvient son ami et avocat George Bizos.
Cet homme de principe ne doutait pas du cap qu’il s’était fixé : l’avènement d’une démocratie multiraciale en Afrique du Sud. Maître de ses émotions, il ne fléchissait jamais en public. Même lorsqu’il a connu le plus grand drame de sa vie, la perte de son fils aîné Thembi, mort en 1969 à 24 ans dans un accident de voiture, il s’est efforcé de ne pas montrer sa peine à ses camarades de prison.
Derrière le mythe, l’homme et ses défauts
Il lui arrivait parfois de se mettre en colère. Le dernier président blanc de l’apartheid, Frederik de Klerk, en a fait les frais en 1991, au début des négociations autour de la transition démocratique. Non sans mauvaise foi, De Klerk avait accusé l’ANC de garder une « armée privée » en violation d’un accord de paix. C’est un Mandela glacial qui avait répliqué, sans regarder De Klerk et en parlant de lui à la troisième personne : « Même le chef d’un régime minoritaire discrédité et illégitime comme le sien doit s’en tenir à certains critères moraux ».
Ce n’est que trois ans plus tard que les élections multiraciales ont eu lieu, le 27 avril 1994. Un compromis a été trouvé, permettant aux fonctionnaires blancs de rester en poste quelque temps, et prévoyant un système d’amnistie et de pardon pour les crimes commis sous l’apartheid, dans le cadre de la Commission vérité et réconciliation (TRC). Du coup, Nelson Mandela a été souvent critiqué dans la communauté noire, pour avoir fait la part trop belle aux Blancs. Une minorité, 8,9% de la population, qui s’est sortie de l’apartheid dans une relative impunité.
Mandela a aussi été contesté pour avoir cédé aux pressions des lobbies d’affaires et du grand capital, aux mains des Blancs. Il a rapidement abandonné toute idée de nationalisation, et dès 1996, une politique d’Etat interventionniste au profit d’une gestion néo-libérale. Son Programme pour la reconstruction et le développement (RDP) s’est soldé par la construction de milliers de maisons bon marché dans les townships. Il n’y a pas eu de grands travaux publics pour mettre le pays au travail, ni d’investissements massifs dans l’éducation. Nelson Mandela a certes pris deux mesures fortes en arrivant au pouvoir : la gratuité des manuels scolaires et des soins de santé pour les enfants de moins de cinq ans. Mais son pays est resté miné par les problèmes sociaux, avec un chômage qui frappe toujours 25,5% des actifs, en majorité des Noirs.
« Les Sud-Africains savent bien que Nelson Mandela aurait pu faire beaucoup plus, note le politologue sud-africain William Gumede. Une partie de l’opinion lui a aussi reproché de n’être pas resté plus longtemps au pouvoir ». Au sein de son propre parti, Mandela a été critiqué pour ne pas avoir réglé sa succession. Par respect pour la démocratie interne à son parti et pour ne pas paraître autoritaire, il n’a pas cherché à imposer son favori, parmi ses successeurs potentiels.
Il a donc laissé le brillant Cyril Ramaphosa, un leader syndical populaire qui a joué un rôle central dans les négociations autour de la transition, se faire évincer par Thabo Mbeki, dès 1992. Ramaphosa n’est revenu qu’en décembre 2012 au devant de la scène politique, en tant que successeur désigné de Jacob Zuma, au poste de vice-président de l’ANC. « Nous avons perdu de précieuses années avec deux présidents médiocres, Mbeki et Zuma », regrettait encore, en décembre dernier, un militant de l’ANC.
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