Des
milliers de Sud-Africains se sont spontanément rassemblés samedi pour
rendre un hommage empreint de gratitude à Nelson Mandela, tandis que se
préparent des funérailles historiques dignes du rayonnement planétaire
du leader anti-apartheid, en présence de nombreux dignitaires étrangers
attendus à Soweto et Qunu.
Devant la maison de l'ancien président, la foule continuait d'affluer. Sur le côté, un petit autel a été improvisé sur la pelouse, autour deux palmiers nains. Des bougies y brûlent, à côté d'un amoncellement de fleurs. Un T-shirt à l'effigie de Mandela a été accroché au jacaranda voisin, barré de l'inscription "Tata Madiba, 1918-2013, pour toujours dans nos c?urs".
"Heureusement ma fille aujourd'hui va à l'école avec des Noirs, des Blancs, des Métis, des Indiens, tous ensemble", ce qui était impensable sous l'apartheid, confiait Dineo Matjila, dans la foule qui continuait d'affluer devant la maison de l'ancien président pour chanter, danser, se recueillir.
Le besoin de se rassembler poussait la foule à converger vers d'autres lieux emblématiques et communier dans une atmosphère détendue contrastant avec la paranoïa sécuritaire d'un pays à la criminalité élevée: le siège du gouvernement, l'ancienne maison de Mandela à Soweto, la Fondation Mandela, ouverte 24 heures sur 24 jusqu'à lundi.
Les télévisions sud-africaines diffusent depuis jeudi soir en continu des images de foules commémorant Mandela, alternant avec des récits de sa vie et ses discours les plus forts.
L'armée en renfort logistique
A Qunu (sud), le village d'enfance de Mandela où il était revenu vivre en voisin sur ses vieux jours dans la paix de la campagne xhosa, régnait le silence du deuil. Les visages étaient fermés. Hochant gravement la tête, un vieil habitant confiait d'une voix sourde: "Il retourne à ses ancêtres".
Dalindyebo, le roi Thembu, le clan des Mandela, devait se
rendre samedi à Johannesburg pour rencontrer la famille et préparer la
cérémonie traditionnelle prévue à Qunu, à la veille de l'enterrement.
Des présidents, chefs de gouvernement, anciens ou actuels,
des têtes couronnées, des artistes, des dirigeants spirituels du monde
entier y sont attendus dimanche 15 décembre pour l'inhumation.
Ils auront aussi le choix d'assister à l'autre service
funèbre, celui de Soweto mardi, dans la ferveur populaire du stade de
Soccer City.
C'est à Soccer City que Nelson Mandela avait fait sa
dernière apparition en public en 2010, pour la finale de la Coupe du
monde. Il était déjà très affaibli par l'âge et les séquelles de ses 27
ans de prison sous l'apartheid.
Les cérémonies seront retransmises en direct par les télévisions, et diffusées dans toute l'Afrique du Sud sur des écrans géants. L'armée a rappelé du personnel en congé en renfort logistique.
Au nom de tous les Sud-Africains, le ministre à la présidence Collins Chabane a salué "la générosité, la gentillesse et la chaleur avec laquelle des millions de gens ont réagi à l'annonce du décès (...)" et promis des "funérailles d'Etat historiques et sans précédent".
"Nous entrons dans cette période avec chagrin et tristesse", a souligné le ministre, "mais aussi (avec) le courage, la continuité et l'espoir pour l'avenir que Madiba souhaitait pour son pays", a-t-il dit.
Il a tenu ces propos alors que, ces dernières années, un sentiment de désenchantement règne dans le pays où s'exerce la pression de ceux qui réclament davantage pour la majorité noire que le droit de vote obtenu en 1994, à savoir des emplois, des logements et une école publique de meilleure qualité.
"Il était notre De Gaulle"
Plusieurs pays ont décrété un deuil national, tels le Tchad, le Sénégal, ou mis les drapeaux en berne comme les Etats-Unis dont trois présidents, l'actuel Barack Obama et deux de ses prédécesseurs, George W. Bush et Bill Clinton, doivent venir.
Les Sud-Africains n'ont pas attendu les cérémonies officielles pour rendre hommage au premier président noir du pays, dont le charisme et la générosité ont, selon la plupart d'entre eux, évité une guerre civile au pays au début des années 1990, quand la minorité blanche s'est résolue à rendre le pouvoir à la majorité noire.
Nelson Mandela s'est éteint chez lui à Johannesburg à l'âge de 95 ans après une agonie de plusieurs mois qui a permis au pays de se préparer à l'après-Mandela sans rien retirer à l'immense émotion ressentie à l'annonce de son décès jeudi soir.
Parmi l'avalanche de messages d'hommage, le président Robert Mugabe, 89 ans, père fondateur de l'indépendance zimbabwéenne en 1980 mais qui n'a jamais cédé le pouvoir, contrairement à Mandela, a salué "la grande icône de l'émancipation africaine".
En mai, il avait reproché à Mandela d'avoir été trop bienveillant envers les Blancs sud-africains: "C'est être trop bon, trop gentil, c'est presque de la sainteté".
Lundi le parlement tiendra une session extraordinaire au lendemain d'une journée nationale de prières et de réflexions sous le signe de l'oecuménisme. M. Mandela lui-même avait grandi dans le giron de l'église méthodiste.
De mercredi à vendredi, la dépouille de Mandela sera exposée à Union Buildings, le siège de la présidence à Pretoria, et transportée chaque jour dans les rues de la ville où la population est appelée à lui faire une haie d'honneur. Le corps était préparé samedi par des médecins militaires.
Mandela sera inhumé le dimanche 15 décembre aux côtés de ses parents et de trois de ses enfants.
La nouvelle de la mort de Mandela est survenue au moment où s'étaient multipliés les hommages au héros de la lutte anti-apartheid, avec notamment la sortie d'un film tiré de son autobiographie, "Un long chemin vers la liberté".
Des voix soulignent cependant que ce concert de louanges laisse de côté une part de la vérité historique: "Quand on parle du miracle sud-africain, beaucoup de gens confondent la conclusion et la lutte elle-même. Ce fut 30 ans de violences de l'apartheid contre lesquelles nous avons répondu. Ceux qui parlent de transition non violente se trompent d'analyse", a souligné auprès de l'AFP un ancien chef de file de l'ANC Tokyo Sexwale, un proche de Mandela qui aurait pu lui succéder à la présidence.
"La lutte en Afrique du Sud ne s'est pas faite sans violence. Nelson Mandela était le commandant en chef de notre branche armée. Il était notre De Gaulle. La France n'aurait jamais été libérée sans De Gaulle et les partisans. Il y a eu beaucoup de sang versé", a-t-il ajouté.
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