mardi 15 juillet 2014


Le Mondial qui vient de s’achever a consacré l’équipe devant l’individualité, remettant en cause les enseignements les plus récents du foot moderne.

GOALAUTEUR : HOCINE HARZOUNE     Suivez-le sur twitter
Un match de football s’assimile parfaitement à une grande pièce de théâtre. Il y a là des protagonistes, des règles, un public et un script pas toujours suivi à la lettre, car il laisse une grande place à l’improvisation, au talent et à la spontanéité.
Les didascalies des entraîneurs-metteurs en scènes se suivent et se ressemblent parfois et au fil des représentations, des genres naissent et se meurent. Certains acteurs se voient plus que d’autres. Leur jeu, leur capacité à briser le quatrième mur, à pouvoir interpréter les grands classiques avec justesse et lyrisme… les grands joueurs sont comme les grands acteurs. Certains parviennent même à briller par leur absence. Dans « En attendant Godot », de Samuel Beckett, des personnages angoissés attendent, devant un arbre dénudé, un dénommé Godot, en espérant qu’il apportera les réponses à leurs questions. L’attente se prolonge, l’arbre a déjà quelques feuilles, mais Godot ne vient toujours pas et les protagonistes parlent de suicide. Godot, un personnage qui a déjà servi d’analogie pour un joueur de football. Il s‘agit d’Alessandro Del Piero, surnommé ainsi par le mythique «Avvocato», Giovanni Agnelli, fatigué d’attendre les fulgurances erratiques de l’attaquant italien.
Cet été au Brésil, les figures transcendantes que des nations entières attendaient ne sont pas venues les sauver. Nous les guettions pourtant, nous y avons cru une nouvelle fois. Nous avons encore été trahis. Ronaldo et Messi nous ont encore fait une « Godot ». Et pour nous aussi, l’arbre dénudé commence à fleurir, arrosé aux promesses non tenues et aux larmes de dépit.
Tout le monde le dit pourtant. Personne ne leur arrive à la cheville. Ce sont les deux meilleurs joueurs du monde, veillants jalousement sur les honneurs et les trophées individuels depuis des années comme sur une chasse gardée, avatars d’un football individualisé et individualiste qui semble avoir suivi les méandres pervers des courbes de notre société.
Ils sont forts, très forts. Ils auraient presque fini par nous faire croire qu’un seul joueur peut faire la différence et triompher du radical postulat sur lequel se construit l’essence même de la notion du football en tant que sport : la notion d’équipe. Et maintenant que le Mondial est fini, que les saisons peuvent reprendre aux quatre coins de l’Europe, Ronaldo et Messi remontent, sans honte, sur les trônes que nous leur avons consacrés.
Le théâtre, les œuvres de fiction et les créations culturelles ont contribué à brouiller notre perception. C’est le syndrome du « Deus ex machina ». Le Dieu issu de la machine. Au théâtre, le mécanisme sert à faire entrer en scène une ou des divinités pour résoudre une situation désespérée. L’événement inattendu et improbable qui vient régler les problèmes du protagoniste à la dernière minute. Le garant du happy end, le sauveur, celui qu’on attendait plus.
Nous avons pourtant cru l’apercevoir cette fois et les Argentins aussi, mais le chef machiniste a eu beau tendre sa perche vers Lionel Messi, lui susurrer à travers le trou du souffleur que c’était à lui de jouer, qu’il pourrait rejoindre Maradona au panthéon des dieux du football, conjurer ses démons et endosser les ailes et l’auréole en permettant à l’Alibeceleste de l’emporter face aux « méchants et froids Allemands »… mais rien, encore rien, toujours rien. Godot n’est pas venu. Il nous a fait savoir qu’il viendrait peut-être demain.
Il est communément admis dans le football d’aujourd’hui que Messi et Ronaldo sont bien au dessus du lot, loin devant leurs poursuivants. Selon certains observateurs, nous pouvons nous estimer heureux de vivre dans une ère où deux champions règnent sur la planète football. Deux plutôt qu’un seul. Mais si aucun des deux n’était un vrai champion ? Et s’ils n’étaient que des joueurs légèrement au-dessus d’un lot qui n’aurait lui-même rien d’extraordinaire ? Et si nous étions dans une période pauvre de la grande Histoire du football ?
Tous deux évoluent dans un championnat qui fait preuve d’une disparité honteuse dans la répartition des ressources (droits TV inégalement distribués, statuts du Real et du Barça de clubs-associations les rendant imperméables aux investigations invasives des autorités de régulation, prestige leur permettant d’acquérir les meilleurs joueurs, revenus publicitaires sans commune mesure avec leurs concurrents…). Tous deux profitent d’équipes et de systèmes construits pour leur octroyer un rendement optimal, où tout est pensé pour leur confort ludique personnel, avec des coéquipiers sélectionnés selon leur compatibilité et comptant parmi les meilleurs joueurs mondiaux à leurs postes respectifs.
Leurs médiocres prestations en Coupe du monde, où ce n’est pas le directeur sportif qui recrute les coéquipiers, où toutes les équipes débutent la compétition à armes égales et où l’engagement et la solidarité supplantent le talent au rayon des pré-requis, n’étaient finalement pas si imprévisibles ni surprenantes. La notion d’équipe revient triomphante sur la scène dans son costume divin avec une brillante auréole et des ailes immaculées.
Cristiano Ronaldo et Lionel Messi sont, finalement, les purs produits du football actuel. Ils ne subliment aucune équipe, ne transforment rien, n’inspirent personne. Ils sont taillés pour produire la meilleure performance possible dans un contexte prédéfini, comme une Formule 1 sur un circuit d’asphalte lisse et balisé, mais sont perdus une fois poussés sur le hors-piste pour la mêlée.
Après moults hésitations, à la fin de la pièce, les deux personnages qui sont las d’attendre Godot décident enfin de partir. L’un deux finit même par dire « Allons-y », mais le narrateur précise qu’ils ne bougent pas. Sans doute espèrent-ils encore, au plus profond d’eux-mêmes que Godot finira bien, un jour ou l’autre, par arriver.

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