samedi 15 juin 2013

Coupe du Monde 2014 : les caprices de la Fifa agacent le Brésil

Dans un an débutera la Coupe du Monde de football. Ce samedi, avec le coup d'envoi  de la Coupe des Confédérations, le Brésil s’offre une grande répétition générale en accueillant huit équipes nationales dans six stades flambants neufs. A qui profitera cette Coupe du Monde ? Les Brésiliens dénoncent les privilèges octroyés à la Fifa et à ses partenaires.
Le stade Mané-Garrincha de Brasilia a fait peau neuve pour la Coupe du Monde
15.06.2013Par Octave Bonnaud, à Sao PauloA Salvador, les vendeuses d’Acarajé, des beignets de crevettes typiques de la région de Bahia, viennent tout juste d’obtenir, après une lutte acharnée d’un an, le droit de vendre  leurs délicieuses spécialités pendant la Coupe des Confédérations et la Coupe du Monde.

Alors qu’elles bénéficiaient depuis de nombreuses années d’emplacements devant le stade, la Fifa leur imposait de s’éloigner de 2 kilomètres de l’enceinte sportive pendant les compétitions. Gagnant la sympathie du public et des médias, elles ont lancé une pétition en ligne qui a recueilli 16 000 signatures, dont celles du footballeur Ronaldo et du Ministre des Sports Aldo Rebelo. Les Bahianaises ont réussit un véritable tour de force : celui d’entrer dans les stades et les "zones exclusives" qui les entourent, sans faire partie du club fermé des sponsors de la Fifa.
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Les zones d’exclusivité

Mais si la mobilisation des Bahianaises a eu raison de l’intransigeance de l’organisation suisse, elle suscite aussi des interrogations sur l’ampleur des restrictions imposées par la Fifa pendant la Coupe du Monde. Pour exemple, "tous les vendeurs ambulants qui travaillent habituellement autour des stades, en vendant des boissons, des pop-corns ou des maillots par exemple, subiront l’interdiction d’entrer dans la zone d’exclusion de 2 km autour des enceintes sportives. Ce qui signifie que les matchs ne profiteront pas à l’économie locale et informelle, mais uniquement aux boutiques des partenaires officiels de la Fifa," déplore Francesco de Filippo, le porte-parole du Comité Populaire de la Copa de Brasilia.

On sait aussi que les spectateurs, qui auront le mauvais goût de porter une chemise affichant de façon trop voyante le logo d’une marque non agréée par la Fifa, pourront potentiellement être interdits de stades. Un délit de "marketing sauvage", passible de prison, a même été créé. Il sera également interdit d’entrer dans un stade avec de la nourriture ou des boissons, les supporters étant incités à consommer dans les boutiques et restaurants officiels.


200 000 habitants menacés par les grands travaux

Si les droits de protection des sponsors officiels ont été établis avec la plus grande méticulosité, le plus grand flou règne toujours pour les habitants des favelas qui jouxtent les stades et habitent à proximité de ces zones d’exclusivités : "près de 200 000 habitants sont impactés par les travaux de la Coupe du Monde et des Jeux Olympiques. Des milliers de familles à proximité des grands chantiers sont en cours d’expulsions, sans qu’aucune solution de relogement ne soit proposée. Pendant ce temps là, ces quartiers populaires autour des stades sont peu à peu transformés en zones commerciales à ciel ouvert," s’indigne Francesco de Filippo.

"La Fifa nous dit qu’elle n’a rien à voir et qu’il faut se tourner vers le gouvernement. Mais lorsqu’elle exige une texture spéciale pour les pelouses, des normes de sécurité ou des protections pour les sponsors, le gouvernement s’exécute. Or sur la question des expulsions et des droits des habitants, la Fifa reste muette. Au final, c’est bien elle qui va engranger les bénéfices de la Coupe du Monde, elle est donc aussi responsable des atteintes aux droits des habitants," estime le porte-parole des Comités populaires de la Coupe du Monde de Brasilia. 

Carton rouge pour la Coupe du Monde : les Brésiliens dans la rue

Le coup de pied

C’est au moment du débat sur la Loi générale de la Coupe du Monde, débattue au second trimestre 2012, que les tensions entre la Fifa et le gouvernement se sont cristallisées. Quelques jours avant l’examen du texte, Jérôme Valcke, le secrétaire général de la Fifa, après avoir dénoncé les retards de constructions, demandait fermement aux organisateurs "de se mettre un coup de pied au derrière". Une vulgarité qui fit scandale au Brésil et obligea la Fifa à se confondre en excuses.

Mais sur le fond, la Fifa aura obtenu la levée de l’interdiction de la vente d’alcool dans les stades pour y imposer le monopole d’une marque de bière partenaire. L’organisation Suisse aurait également bataillé ferme contre les tarifs réduits, prévus pour les personnes âgées et les bénéficiaires de l’aide sociale, craignant que cela n’ampute une part de ses recettes sur les ventes de billets.

"En réalité, la Fifa se comporte comme la famille royale portugaise qui est venue se réfugier au Brésil au XIXème siècle. Elle a, par exemple, obtenu une exonération totale d’impôts sur les bénéfices engendrés pendant la Coupe du Monde, ce qui est un privilège fiscal digne d’une monarchie," s’agace l’avocat Maurice Sampaio, responsable des droits de l’Homme de l’Ordre des avocats brésilien à Sao Paulo (OAB). On sait également que les revenus versés par les vingt sponsors officiels à la Fifa – le second poste de bénéfices après la vente des droits TV – seront exemptés d’impôts.

Par ailleurs, en cas de déconvenue financière, la Fifa se réserve même la possibilité de demander des dommages et intérêts au Brésil. "Une clause autorise un recours financier de la Fifa en cas de manquement à la sécurité. C’est une clause qui avait été aussi acceptée par l’Allemagne pour la Coupe du Monde en 2006," analyse le juriste Luiz Santoro, auteur d’un ouvrage juridique sur la Loi générale de la Coupe du Monde. En 2011, la Fifa avait même demandé au Brésil d’intégrer les risques climatiques dans les motifs d’indemnisation, ce qui lui a été refusé par le gouvernement brésilien.
Jérôme Valcke, secrétaire général de la Fifa
Football et démocratie

En s’octroyant autant de lois sur mesure, la Fifa abuse t-elle de son pouvoir ? "C’est vrai qu’il y a beaucoup de mesures provisoires, mais ce n’est pas une surprise : le gouvernement a accepté d’appliquer le cahier des charges proposé par la Fifa lorsqu’il a remporté la candidature en 2007. Il était libre de dire non. A partir de là, il doit prendre les garanties nécessaires et respecter ses engagements internationaux," estime l’avocat Luiz Santoro.

D’un avis contraire, l’avocat Maurice Sampaio estime, pour sa part, que "le Brésil subit le même modèle que l’Afrique du Sud, avec une flexibilisation de l’appareil législatif qui constitue une véritable atteinte à la souveraineté nationale, en raison des exemptions fiscales, de l’élargissement des droits commerciaux et des restrictions des droits des citoyens."

Reste à savoir comment interpréter la dernière sortie tonitruante de Jérôme Valcke, le secrétaire général de la Fifa, dans les colonnes du quotidien de l’Estado de Sao Paulo, à la fin du mois d’avril dernier : "Je vais vous dire quelque chose qui peut paraître fou, mais avoir moins de démocratie est une meilleure chose pour organiser une Coupe du Monde".

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