Dopage : "A la Juve, il y avait énormément de produits"
Le Monde.frJean-Marcel Ferret a été le médecin de l'équipe de France entre 1993 et 2004. Il était sur le banc, à côté d'Aimé Jacquet, lors du sacre du Mondial 1998. Mercredi 5 juin, l'ancien "docteur" des Bleus et de l'Olympique lyonnais, était assis sur une chaise, au Sénat, pour répondre sous serment aux questions de la commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage.
"Je peux dire en toute bonne foi qu'en 1996, 1998, 2000, 2002, les joueurs étaient propres", a juré Jean-Marcel Ferret. Les sénateurs l'avaient convoqué pour l'entendre, notamment, sur ce qu'il savait des champions du monde ayant évolué à la Juventus Turin à la fin des années 1990, Didier Deschamps et Zinédine Zidane. A cette époque, la "Vieille Dame" dominait l'Europe du football : trois championnats d'Italie, une Ligue des champions et une Coupe intercontinentale remportées entre 1994 et 1998."A la Juve, il y avait énormément de produits, même en perfusion", a concédé le médecin, qui évoque des pratiques médicales "plus agressives" en Italie qu'en France. "Mais de tous les produits que m'ont cités les joueurs, jamais ils ne m'ont donné le nom d'un produit dopant", a précisé Jean-Marcel Ferret.
En novembre 2004, le tribunal de Turin avait pourtant condamné le médecin chef de la Juventus, Riccardo Agricola, à un an et dix mois de prison et à une interdiction d'exercer sa profession pour fraude sportive, utilisation abusive et dangereuse pour la santé de médicaments en dehors de toute justification thérapeutique et administration systématique et intensive d'érythropoïétine (EPO).
ADMINISTRATION SYSTÉMATIQUE ET INTENSIVE D'EPO
Le docteur Agricola avait été relaxé un an plus tard à cause d'un vice de forme, ni l'usage de médicaments ni l'administration d'EPO n'étaient considérés comme des délits au moment des faits (1994-1998), l'Italie ne s'étant doté d'une législation pénalisant le dopage qu'en 2000. L'expertise de l'hématologue Giuseppe D'Onofrio, avait pourtant conclu à l'utilisation "systématique et intensive" d'EPO à partir de l'étude appronfondie des variations des paramètres sanguins de 49 joueurs.
Parmi ces joueurs figurent l'ancien capitaine et actuel entraîneur de l'équipe de France, Didier Deschamps, qui a été auditionné à huis clos le 24 avril, par la commission d'enquête sénatoriale. Des documents issus de l'expertise que Le Monde avaient révélés en 2004 montraient non seulement que l'hématocrite du milieu de terrain culminait à 51,9 % le 22 mars 1995, mais faisaient aussi apparaître d'importantes variations de l'hémoglobine. Mesurée à 13,9 grammes/décilitre le 13 juin 1995, elle passe à 15 g/dl le 21 août et monte à 16 g/dl le 15 septembre, soit 15 % d'augmentation en trois mois. Dans son rapport, l'hématologue D'Onofrio concluait qu'au-delà de 3 % à 4 %, ces variations pouvaient être perçues comme des indices de stimulation exogène.
Des conclusions qui contredisent les propos tenus mercredi par Jean-Marcel Ferret devant le Sénat : "On n'a pas trouvé de suspicion de produit exogène. On avait instauré un suivi important avec des bilans biologiques à chaque stage. Quand on a quelque chose d'anormal en biologie, on gratte, on va voir derrière. Dès qu'on a eu quelque chose d'anormal on est allé plus loin. Chaque fois, on a fait chou blanc."
ZIDANE : "LES PERFUSIONS SONT UTILES"
Le juge de Turin, Raffaele Guariniello, n'avait, lui, pas "fait chou blanc" en s'intéressant, en 1998, aux mœurs de la Juventus. En août, un mois après la finale du Mondial remportée par les Bleus, l'affaire Festina sur le Tour de France et les déclarations fracassantes de l'entraîneur de l'AS Rome, Zdeneck Zeman, exhortant le Calcio à "sortir des pharmacies", le magistrat avait perquisitionné le stade d'entraînement de la "Vielle Dame". Il y avait découvert une véritable officine : 281 sortes de médicaments, dont des stimulants, des corticoïdes, des anesthésiques locaux et autres hormones peptidiques.
Outre l'usage d'EPO, l'instruction mettra aussi en évidence l'administration régulière d'anxiolytiques, de stimulants cardiaques ou de préparations contre l'éthylisme ou la malnutrition dans le but d'améliorer les performances des joueurs.
"Quand on leur fait une injection, les joueurs ne demandent pas ce que c'est", a lâché le docteur Ferret devant les parlementaires français. En janvier 2004, Zinédine Zidane avait été auditionné par le juge de Turin. L'ancien n° 10 de la Juve (1996-2001) avait reconnu avoir reçu dans les chambres d'hôtel ou dans les vestiaires des piqûres de Neoton (une créatine injectable) et des perfusions de vitamines ou d'Esafosfina. Ce dernier produit est un médicament administré normalement aux personnes transfusées souffrant d'éthylisme chronique, de malnutrition ou d'insuffisance respiratoire. "Les perfusions sont utiles, sinon, comment ferions-nous pour jouer 70 matchs pendant l'année", avait justifié Zinédine Zidane.
Stéphane Mandard
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